Imam Ibn Qayyîm al-jawziya
Le Prophète sal Allahu aleyhi wa salam a dit à ´Umar :
« Qui te permet [d’affirmer que Hâtib mérite la mort? ] Sache qu’Allah a considéré les combattants de Badr et leur a dit : « Faites ce que vous voulez car Je vous ai pardonné. » » (1)
Le sens de ce hadith a posé problème à de nombreuse personnes, car en apparence il autorise les combattants de Badr à faire ce qu’ils veulent et comme bon leur semble.
Or ceci est irrecevable.
Un groupe [de savants] parmi lesquels Ibn Al-Jawzî (2) a dit :
[Dans ce hadith] « faites ce que vous voulez » ne désigne pas le futur mais le passé.Le sens est alors : Quoi que vous ayez commis dans le passé, Je vous ai pardonné. [Ibn Al-Jawzî] a dit :
« Deux éléments indiquent ce choix :
– Premièrement : si cela désignait le futur, la réponse [dans le hadith] aurait été : Je vous pardonnerai.
– Deuxièmement : si le futur était désigné, cela signifierait que les péchés leur sont absolument permis, ce qui est impossible.
En d’autres termes, le sens véritable du hadith est le suivant : « Par votre participation à cette bataille, Je vous ai pardonné vos péchés passés. »
Mais cette argumentation est faible pour deux raisons :
– La première : l’expression « faites ce que vous voulez » indique le futur et non le passé, car rien n’implique nécessairement qu’il y ait une concordance de temps avec « Je vous ai pardonné ». Au contraire « Je vous ai pardonné » vient souligner la réalisation de ce pardon dans le futur, comme dans Sa parole (3) (traduction rapprochée) :
« L’Ordre d’Allah arrive. » (4) « Lorsque ton Seigneur viendra ainsi que les ange, rangs par rangs »
Et d’autres versets semblables encore. » (5)
– La deuxième : le hadith lui-même rejette [cette interprétation], car cette parole du Prophète salaallahu aleyhi wa salam vient après [avoir découvert que Hâtib ibn Abî Balta´ah] avait transmis des informations stratégique [aux Qurayshites], et ce péché eut lieu après la bataille de Badr et non avant. C’est la cause de ce hadith et son sens seul.
Notre avis sur cette question -et Allah est plus savant- est que cette parole s’adresse à des gens dont Allah a su qu’ils n’abandonneraient jamais leur religion et qu’ils mourraient fidèles à l’islam, mais qu’ils pourraient, au même titre qu’au d’autres, commettre des péchés.
Cependant, Allah ne les laissera pas persister dans le péché, et au contraire leur accordera un repentir sincère pour ces péchés, une demande de pardon et de bonnes actions qui viendront en effacer les traces. Leur spécificité [par rapport à d’autres] sur cette question, est que cela s’est réellement réalisé pour eux et qu’ils sont pardonnés.
[Cette promesse] n’empêche pas que ce pardon se réalise par certaines causes qu’ils provoqueraient eux-mêmes, de même que cela n’implique pas qu’ils délaissent les obligations en comptant uniquement sur le pardon d’Allah. Si [ce pardon] s’était réalisé sans avoir à respecter les commandements [d’Allah], ils n’auraient plus eu besoin après cela d’accomplir la prière, le jeûne, le pèlerinage, le djihad ou de s’acquitter de la Zakât ! Mais cela est aberrant !Le repentir après le péché compte parmi les plus impératives des obligations, et l’assurance du pardon n’implique pas que l’on en abandonne les causes.
Un cas semblables à celui-ci apparaît dans un autres hadith :
« Un serviteur commit un péché et dit : « Ô Seigneur ! J’ai commis un péché, alors pardonne-moi ! »
Allah lui pardonna alors et le serviteur resta ainsi autant qu’Allah le voulut, puis il commit un autre péché.
Il dit : « Ô Seigneur ! J’ai commis un péché, alors pardonne-moi »
Allah lui pardonna et le serviteur resta ainsi autant qu’Allah le voulut, puis il commit un autre péché.
Il dit : « Ô Seigneur ! J’ai commis un péché, alors pardonne-moi ! »
Allah dit alors : « Mon serviteur a su qu’il avait un Seigneur qui pardonnait et pouvait châtier pour un péché [commis]. J’ai pardonné à Mon serviteur, qu’il fasse donc ce qu’il veut. » (6)
Cela signifie aucunement une permission générale d’Allah de commettre des péchés ou des crimes, mais cela montre uniquement que tant que le serviteur agit de la sorte –il commet un péché et se repent –Allah lui pardonne.
Cette spécificité accordée à ce serviteur qui a su qu’il ne devait pas persister dans le péché et de devait se repentir à chaque fois qu’il en commettait un, touche en fait toute personne dans cette situation.
Mais pour le serviteur [désigné dans le hadith] cela s’est accompli de manière définitive, de la même manière que pour les combattants de la bataille de Badr.
De même, personne parmi les Compagnons à qui le Prophète salaallahu aleyhi wa salam a annoncé le Paradis ou le pardon des péchés n’a compris qu’il pouvait commettre tous les péchés qu’il voulait et qu’on lui pardonnerait de délaisser les obligations.
Au contraire, ils ont fait plus d’efforts encore, étaient plus attentifs et craignaient Allah plus encore après avoir reçu cette bonnes annonce, comme les célèbres dix compagnons promis au Paradis.
Le Véridique [Abû bakr] faisait très attention et craignait beaucoup Allah, de même que ´Umar, car ils ont su que cette bonne annonce était restreinte par la pratique de ses conditions jusqu’à la mort, et par le délaissement de tout ce qui s’y oppose.
Aucun d’entre eux n’a compris qu’il s’agissait d’une permission de faire ce qu’ils voulaient.
(1) Al-Bukhâri (4274), Muslim (2494). Hâtib Ibn Abî balta´ah était un compagnon qui avait envoyé une lettre à ses proches résidant à la Mecque, pour les avertir du fait que le Prophète salaallahu aleyhi wa salam comptait attaquer la ville sainte pour la libérer de l’emprise des polythéistes de Quraych. Hâtib ne cherchait par là qu’à protéger ses proches, sachant qu’ils n’avaient personne pour les défendre, et ce n’était donc pas un acte de trahison, comme a pu le penser ´Umar qui le menaça de mort. D’où la réponse du Prophète salaallahu aleyhi wa salam.
(2) Abû Al-Faraj, ´Abd Ar-Rahmân Ibn ´Alî. Éminent savant, prédicateur et historien de Bagdad (509-597).
(3) Dans les deux extraits de versets suivants, le temps utilisé est le passé, mais l’action indiquée se produira dans le futur, cela marque donc l’insistance. [NdT]
(4) Sourate An-Nahl, v.1.
(5) Sourate Al-Fajr, v.22.
(6) Al Bukhâri(7507), Muslim(2758).
Source « Les Méditations » d’Ibn Al-Qayyim. N°3 page 49, Editions Tawbah
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